Léon Trotsky : Ou vers l’opportunisme, ou vers le marxisme, il n’y a pas d’autre voie (Conversation avec un camarade du rayon Saint-Denis publiée le 8 juin 1934) [Source Léon Trotsky, Œuvres 4, Avril 1934 – Décembre 1934. Institut Léon Trotsky, Paris 1979, pp. 36-42, voir des annotations là-bas] — Si on voulait en croire l'Humanité, vous nous suivez dans « le camp de la contre-révolution ». Alors, à quand votre exclusion du parti communiste ? Et que pensez-vous faire ? — Nos exclusions, le comité central ne tardera pas à les prononcer. Mais, dès maintenant, le rayon de Saint-Denis a, par plus de 300 voix contre quelques-unes seulement, décidé de rompre les rapports avec la direction du parti. Ce que nous ferons ? Faire vivre notre comité de vigilance et aider les travailleurs à en créer d'autres dans tout le pays pour résister au fascisme. — Réaliser l’unité d’action des travailleurs, c’est très bien ; nous vous avons soutenu sur ce point pour lequel nous luttons depuis des années (rappelle-toi les événements d’Allemagne). Pour se battre, la classe ouvrière a besoin d’être unie, malgré toutes divisions politiques ; réformistes et révolutionnaires doivent serrer les rangs. Mais si tu romps avec le parti communiste parce qu’il piétine les enseignements de Lénine sur le front unique, je ne pense pas que tu tiennes à piétiner les enseignements de Lénine sur le problème du parti. Si le parti qui s’intitule communiste, et si la IIIe Internationale ne sont plus l’organisation de l'avant-garde marxiste du prolétariat, il faut rebâtir un nouveau parti, une IVe Internationale. Ton rayon va-t-il s’atteler à pareille lâche ? — Nous ne voulons pas piétiner les enseignements de Lénine, mais nous nous refusons de vous suivre pour faire un parti et une Internationale. Ce ne sont pas des organisations qu'on monte arbitrairement. — Je suis d’accord avec toi, qu’il est néfaste de créer arbitrairement des organisations : c’est pourquoi nous, Ligue communiste, nous avons combattu le mouvement d’Amsterdam-Pleyel qui était une combinaison de l’appareil pour se dérober à l'unité d’action avec les organisations socialistes, en se servant pupisme, la social-démocratie les ont rongés. Encore un mot. Tes comités de vigilance sans parti communiste, ils me rappellent un mot d’ordre… menchevique et contre-révolutionnaire ; je ne veux pas, par là, te qualifier de menchevik, ou contre-révolutionnaire. Lorsque la révolution d’Octobre se trouva aux prises avec les pires difficultés, que la guerre civile, la famine faisaient rage, les ennemis du pouvoir prolétarien lancèrent le mot d’ordre : « Les soviets sans communistes ». La contre-révolution avait compris d’instinct que même la forme soviétique n’était pas immunisée contre son influence, que, s’il n’y a pas de communistes pour y apporter leur intransigeance de classe, elle pourrait aussi s’en servir contre la révolution. Et alors, si c’est vrai des soviets après la prise du pouvoir, on peut être sûr que c’est encore plus vrai avec les comités de vigilance qui ne sont pas encore des soviets ; des comités de vigilance sans communistes (c’est-à-dire sans un parti, car il n’y a pas d’action communiste en dehors d’une organisation), on peut être sûr qu’ils ne deviendront jamais des soviets et qu’ils ne prendront pas le pouvoir. Et puis une autre question se greffe sur celle de la lutte contre le fascisme et pour le pouvoir, c’est la question de la lutte contre la guerre. Qui guidera cette lutte ? Les comités de front unique pourront, à la rigueur, organiser des actions contre les préparatifs de la guerre, contre le service de deux ans, etc. Mais qui mènera le travail antimilitariste, qui préconisera le défaitisme ? Dans le front unique, tu as des socialistes imbus de patriotisme ou de pacifisme, des défenseurs de la S.D.N… Bientôt tu trouveras même de ces derniers dans le parti communiste officiel, à cause de l’entrée de l’Union soviétique dans cette association de brigands. — Je te préviens carrément : jamais nous n’approuverons vos attaques contre l’U.R.S.S., jamais nous ne nous y joindrons. — Et je te réponds non moins carrément : jamais nous n’avons attaqué l’U.R.S.S. Par conséquent, tu n’as pas à te joindre à ce qui n’est pas. Ce que nous avons fait, c’est combattre une politique que nous estimons fausse, néfaste à la révolution d’Octobre et à la révolution mondiale. Toi, tu luttes contre la politique de l’I.C. en France ; crois-tu que celle-ci est indépendante de la politique générale de l’I.C. et aussi de la politique de l’U.R.S.S. ? Quand Lénine et Trotsky dirigeaient l’I.C. et l’Union soviétique, ils ne pratiquaient pas deux politiques différentes, contradictoires, l’une bonne, l’autre mauvaise : la politique de l’I.C. et celle de l’Union soviétique se complétaient en fonction des nécessités de la révolution prolétarienne internationale. Quand la vague révolutionnaire reflua, que l’État prolétarien dut faire des concessions, ses dirigeants l’expliquèrent franchement à tous les travailleurs. Tandis qu'aujourd’hui, que lis-tu dans l'Humanité ? D’abord, que le mouvement révolutionnaire ne cesse de croître dans tous les pays, qu’il va de succès en succès, qu’en même temps l’U.R.S.S. marche à grands pas vers le socialisme, puis finalement que l’U.R.S.S. va entrer dans la S.D.N. Crois-tu que cet acte soit une manifestation de force, de puissance ? — L’U.R.S.S. est entourée d’un monde d’ennemis ; elle doit savoir exploiter les divergences dans le camp capitaliste et savoir passer des compromis avec certains États pour dissocier le bloc de ses adversaires. — Aucun communiste ne peut évidemment reprocher au gouvernement soviétique de passer des compromis, quoiqu’il y ait compromis et compromis. Mais ce qui est inadmissible, c’est de les présenter comme des victoires sur la bourgeoisie d’une part, c’est de baser toute son activité sur les qualités de sa diplomatie d’autre part, au lieu de fonder la défense de l’U.R.S.S. sur la force du mouvement révolutionnaire. Pourquoi la politique extérieure du gouvernement soviétique a-t-elle reçu un si fort coup de barre à droite depuis un an, sinon par suite de la défaite du prolétariat allemand ? Et crois-tu que si la réaction triomphait en France, les talents de Litvinov suffiraient à préserver les constructions des plans quinquennaux contre le bloc fasciste ? La politique hostile à l’unité d’action et la politique qui présente l’entrée dans la S.D.N. comme une victoire, c’est une seule et même politique, celle de la bureaucratie dirigeante en U.R.S.S. qui a l’horizon limité à l’Union soviétique et néglige, redoute même, les combats révolutionnaires dans les autres pays. Aussi, pour défendre l’U.R.S.S. non pas avec des phrases creuses, mais réellement, c’est-à-dire pour développer la lutte révolutionnaire en dépit d’un appareil d’incapables et contre lui, il faudra faire comme la Ligue communiste, s’efforcer de reconstruire le parti révolutionnaire du prolétariat. C’est la voie que vous, rayon de Saint-Denis, devez suivre pour être conséquents avec vous-mêmes ; c’est ce « chemin de Trotsky » dont l'Humanité veut vous faire peur. — Nous voulons suivre le chemin de la révolution. — C’est le même. |
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