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Léon Trotsky 19340721 Les tâches de la L.C.I.

Léon Trotsky : Les tâches de la L.C.I.

(21 juillet 1934)

[Source Léon Trotsky, Œuvres 4, Avril 1934 – Décembre 1934. Institut Léon Trotsky, Paris 1979, pp. 160-165, voir des annotations là-bas]

1 — Le Bloc des Quatre s’est disloqué du fait de l’évolution à droite de ses participants centristes qui ont renoncé à la propagande indépendante pour la IVe Internationale sous la pression de l’offensive fasciste et celle des nouveaux « courants de masse » centristes, faute d’une perspective large et de la compréhension des enseignements de Marx et de Lénine, et créant la théorie géniale des combinaisons sans principe et de la propagande par le silence.

Le Bloc des Quatre en tant que tel a été un pas indispensable sur la route vers la IVe Internationale, un pas qu’il faudra répéter et qui sera répété à un niveau supérieur. Néanmoins, il ne faudrait pas fermer les yeux sur le fait qu’après la mort du Bloc des Quatre la L.C.I. est en ce moment la seule organisation qui pose ouvertement et de façon conséquente la question de la nouvelle Internationale, de l’Internationale communiste, la IVe. Ce fait impose à notre organisation des tâches nouvelles et importantes et lui confère une signification accrue ainsi qu’à son développement.

2 — Outre ce fait, en envisageant nos tâches nouvelles, il nous faut reconnaître et tenir pleinement compte du tournant que le Comintern a réalisé en France et commencé dans d’autres pays (Suisse, Tchécoslovaquie). Notre attitude fondamentale vis-à-vis du Comintern d’une part, et de la nouvelle Internationale de l’autre, ne peut en rien être modifiée par lui. Notre caractérisation du stalinisme comme un centrisme bureaucratique nous a permis de prédire précisément un tel tournant sans être surpris par lui. Alors même que ce tournant ne permettra pas au Comintern de contribuer à la victoire de la cause révolutionnaire dans aucun pays — et que son caractère opportuniste aura à long terme un effet de désorientation —, il est cependant clair que ce tournant place le développement objectif de la lutte de classes dans différents pays sur un plan nouveau, modifie profondément et, dans une certaine mesure, améliore les relations du Comintern avec les masses. Une réaction insuffisante ou fausse à ce tournant pourrait conduire à un affaiblissement considérable de notre organisation.

Ce n’est pas l’aspect le moins significatif du tournant des staliniens vers le front unique, dans la mesure où il tient compte de la pression des masses, que le fait qu’il constitue une justification et une confirmation de la ligne politique de notre organisation et particulièrement de la ligne que nous avons suivie pendant les cinq dernières années. Cette ligne nous a non seulement permis de renforcer de façon significative et de développer des sections existantes (comme les sections américaine, française, belge et allemande), mais elle nous a également permis de gagner d’importantes sections nouvelles à travers le monde (Hollande, Pologne, Chili, etc.,). Il serait aussi fatal de sous-estimer ces succès que d’entretenir l’illusion que nous pourrions continuer de progresser à la manière ancienne en vivant sur notre capital accumulé.

3 — Il est évident que le tournant opportuniste des staliniens peut aller bien au-delà du front unique dans certains pays, particulièrement en France. Au cours des dernières négociations entre les dirigeants des P.C. et P.S. français, la question d’un parti unifié a été envisagée ouvertement et positivement des deux côtés ! Les raisons en sont claires : le tournant du Comintern est au moins autant l’expression de la politique extérieure russe que le résultat de la pression des masses. La politique extérieure de Litvinov n’a plus aucune perspective révolutionnaire. Son unique objectif est d’empêcher la guerre par la formation d’alliances. A la poursuite de ce but, elle s’efforce de garder à la barre en France des régimes du type Doumergue. Le front unique est supposé créer un bloc de gauche pour contrebalancer le bloc de droite. Afin de démontrer à la bourgeoisie française (et dernièrement à la bourgeoisie anglaise qui est en train d’approcher de ce bloc) combien elle prend au sérieux son propre tournant, la bureaucratie soviétique, par l’intermédiaire des Thorez, Cachin, etc., non seulement rend le front unique conforme aux désirs de la S.F.I.O., mais encore tend à la liquidation du P.C. français par la subordination des éléments révolutionnaires au sein d’un parti unifié à la discipline de Léon Blum.

Que la bureaucratie mène cette politique jusqu’au bout, ou que le regroupement incessant des puissances crée une situation nouvelle, l’importance de notre rôle indépendant, de notre rôle dans la révolution, en est considérablement accrue. Bien entendu, les masses les plus larges seront d’abord prises dans le délire de l’unité ; d’un autre côté, les meilleurs éléments communistes en France et plus encore ailleurs seront amenés dans nos rangs, pourvu que nous sachions répondre correctement à la situation. Il semble que le moment approche où la liquidation théorique du marxisme-léninisme par les staliniens, perçue par nous et combattue depuis 1923, est en train d’apparaître au grand jour dans la pratique, ouvrant ainsi devant nous de nouvelles occasions.

4 — Le destin futur de notre organisation, comme le développement de la IVe Internationale, dépendra avant tout de l’existence de cadres internationaux comprenant la façon dont il faut répondre aux questions de la révolution et de la contre-révolution — surtout dans leurs vêtements fascistes et bonapartistes — et comprenant les questions de la menace de guerre et de la façon de compléter nos mots d’ordre et de les inscrire dans la réalité. Sur un plan international, la réponse à ces questions ne peut découler que d’un élément indépendant politiquement et organisationnellement. Même en faisant les plus grands efforts pour trouver des alliés, cet élément ne peut en aucun cas abandonner son indépendance, ses efforts pour sélectionner et éduquer ses propres cadres et son profond travail idéologique.

5 — Le premier objectif que nous avons proposé sur la route vers la révolution a été le front unique contre le fascisme. Le tournant stalinien constitue un pas important dans cette direction. Il nous faut dénoncer l’indécision de la bureaucratie, son incapacité à avancer plus, établir le lien entre ce qui a été réalisé et ce qui manque encore, et attaquer de la façon la plus vive les conceptions opportunistes de la bureaucratie. Ce qu’il faut, c’est transformer le front unique dans les meetings en front unique dans l’action et exiger la transformation du front unique des deux partis en front unique de toutes les organisations ouvrières. Il nous faut préparer la transformation du front unique des organisations en un mouvement soviétique.

6 — Notre entrée à nous dans le front unique n’est pas le moins du monde utopique. De bonnes possibilités pour cela existent déjà à la base. Et, même là où nous sommes à présent exclus, la sympathie à notre égard et vis-à-vis du mot d’ordre de notre inclusion grandira parce que nous serons les seuls capables d’assigner au front unique des objectifs concrets et un contenu concret.

La question des propositions et des mots d’ordre pratiques revêt la plus grande importance dans ce contexte (revendication pour une milice, pour l’armement, revendications locales et d’usine concrètes). L’élaboration de telles mesures éliminera de nos rangs une façon purement spéculative et littéraire de considérer les choses. Elle constituera en même temps le meilleur moyen de gagner la confiance des masses ouvrières et de briser l’influence des bureaucrates à l’intérieur du front unique.

7 — Dans la mesure où le front unique sera réellement réalisé et non saboté (ce qui conduirait à un important processus de différenciation dans les partis réformistes), il ne pourra subsister sous la forme pour laquelle les bureaucrates se battent — le front unique dans les meetings, qui égare la classe ouvrière et la berce pour l’endormir. Ou bien il s’élargira pour nous inclure nous et brisera le cadre bureaucratique (un processus qui amènera la constitution dans les deux partis d’ailes gauches que nous devrons influencer), ou, ce qui est plus vraisemblable dans de nombreux pays, l’une des deux bureaucraties sera conduite à rompre avec le front unique en plein développement pour des raisons d’auto-préservation, un développement qui mettra immédiatement à l’ordre du jour la question de la scission dans les partis en question. Un travail systématique de notre part fera de nous un pôle d’attraction pour les ailes gauches des deux partis et créera les bases d’un nouveau parti communiste.

La possibilité de la formation de partis unifiés nous place devant une situation entièrement nouvelle. Un déclin momentané de l’écho dans les masses serait accompagné par la conquête par nous des meilleurs éléments révolutionnaires. Le développement ultérieur ferait clairement apparaître publiquement notre organisation comme la seule organisation communiste et nous permettrait de jouer le rôle des partis communistes dans un délai très rapide, opposant les revendications et la préparation à l’action révolutionnaire au verbiage unitaire creux et opportuniste.

8 — Tout travail fructueux de notre part doit reposer sur une rupture totale avec nos méthodes de travail passées, celles de la fraction. Le travail idéologique de la fraction était pour l’essentiel de nature critique. Le travail idéologique du noyau du nouveau parti et de la nouvelle Internationale doit être centré autour d’un travail positif, constructif, donnant la direction, et qui ne dévie jamais le moins du monde du concret. Notre activité antérieure était consciemment limitée à la propagande, puisque la fraction se soumettait consciemment dans l’action à la discipline du parti. Dans notre travail maintenant, le noyau du nouveau parti et de la nouvelle Internationale doivent au contraire s’efforcer de dépasser les bornes de la propagande à toute occasion, et prouver le sérieux et la valeur de notre détermination révolutionnaire à travers l’action indépendante ou la participation à l’action. Pour cela, il nous faut partir du fait que l’unique moyen de convaincre de larges masses de la justesse de nos idées réside dans l’action. C’est là le point central de notre nouvelle orientation. Il n’existe aucune mesure d’organisation qui permette de contourner ce pas et de le rendre superflu.

9 — Avec la propagande indépendante et le travail actif, il faut employer tous les moyens — toujours en accord avec la situation concrète — pour nous lier aux masses, les pousser en avant et consolider de nouveaux cadres sortis de leurs rangs.

Cela comprend avant tout :

a — Un travail de fraction systématique dans les syndicats sous le mot d’ordre de l’unité syndicale. Les possibilités d’atteindre et d’influencer les masses ouvrières sont meilleures là que dans aucun parti. Dans bien des pays, l’unité syndicale est presque d’une signification pratique plus importante que le front unique entre les partis. Les effets économiques immédiats du développement réactionnaire et la profonde différenciation dans les syndicats nous fournissent le meilleur tremplin pour notre travail.

b — Un travail de fraction systématique dans tous les partis et organisations ouvrières, pas seulement en y constituant des fractions à partir d’éléments sympathisants qui y sont déjà, mais aussi peut-être en y envoyant des éléments déjà solides.

c — Une attention très particulière au travail parmi les jeunes dans les organisations de jeunesse existantes, comme à la construction et à l’élargissement de nouvelles organisations de jeunesse.

d — La formation d’alliances et de blocs avec des organisations tendant vers un nouveau parti communiste et une nouvelle Internationale. Ils devront reposer sur une base principielle claire et une formulation concrète des objectifs.

e — La fusion avec de telles organisations sur la base d’un programme communiste clair.

f — Dans des circonstances très exceptionnelles, l’entrée d’une section tout entière dans une organisation centriste peut se révéler utile pour augmenter notre influence et accélérer la construction de la IVe Internationale (l’I.L.P. en Angleterre). Qualifier de panacée cette tactique d’« entrisme » équivaut à proclamer la faillite de la ligne politique suivie jusqu’à maintenant, à liquider les organisations indépendantes, constitue à la fois une cause et une conséquence d’une démoralisation complète et doit être catégoriquement repoussé. Même l’entrée proposée de la Ligue française dans la S.F.I.O. avec pour objectif d’étendre notre influence conduirait (selon certains) non seulement à une liquidation de fait de notre influence et à une capitulation de fait en France, mais aussi à discréditer et désorienter la L.C.I. tout entière au moment même où elle est en train de se développer et a devant elle les perspectives et les tâches les plus importantes. Il faut absolument étudier sérieusement cette question, qui est une question de vie ou de mort pour la L.C.I. tout entière, et rejeter immédiatement et vigoureusement cette idée, afin que la L.C.I. ne perde pas une seconde pour utiliser les nouvelles et immenses possibilités plutôt que de se disloquer.

Une juste compréhension de la situation nouvellement créée et la réalisation des mesures mentionnées ci-dessus, combinées à la revitalisation des forces révolutionnaires dans de nombreux pays, rendront possibles des progrès significatifs sur la voie de la IVe Internationale de même qu’une préparation effective pour la confrontation décisive entre la bourgeoisie et le prolétariat.

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