Léon Trotsky : Déclaration sur l’arrêté d’expulsion (18 avril 1934) [Source Léon Trotsky, Œuvres 3, Novembre 1933 – Avril 1934. Institut Léon Trotsky, Paris 1978, pp. 323-325, voir des annotations là-bas] La presse donne de source quasi officielle l’explication de l’arrêté gouvernemental qui me prive du droit de séjour en France. Cette explication est fausse, tout comme la déclaration que la presse attribue à M. le Ministre de l’intérieur. 1) Il est exact que, dans des lettres adressées aux personnes privées qui s’intéressèrent à mon visa, j’avais déclaré nettement avoir le ferme dessein de m’abstenir de toute activité politique dans le sens propre du mot, c’est-à-dire paraître à une tribune, participer aux manifestations publiques, faire des tracts ou être membre de quelque organisation de combat. Qui dit que j’ai enfreint cette déclaration, faite d’ailleurs de ma propre initiative et jamais exigée par personne, celui-là dit une contre-vérité. 2) Quant aux autorités françaises, aucune ne m’avait imposé de restrictions spéciales. Tout au contraire, à mon arrivée en France, j’ai signé une notification m’annonçant que j’étais admis sur le territoire français aux mêmes conditions que tout autre étranger. Je ne connais aucune loi qui interdise à un étranger d’exprimer ses opinions sous la forme de livres ou d’articles. Personne ne m’a indiqué que mes écrits publiés pendant mon séjour en France sortaient du cadre de la légalité. 3) La presse cite la Ligue communiste et son organe La Vérité. On y oublie d’ajouter que la Ligue, comme La Vérité, existent depuis bientôt cinq années. Il y a dans une vingtaine de pays des organisations et des organes analogues, c’est-à-dire se réclamant des idées que je défends aussi dans mes écrits. La Ligue existait avant mon arrivée en France, elle publiait mes articles et mes brochures dont beaucoup concernaient la situation politique en France. C’est précisément depuis que je suis entré en France que je me suis abstenu de me prononcer dans la presse sur les questions de la politique française. Les articles parus dans La Vérité pendant les neuf mois de mon séjour en France ont tous été traduits par la rédaction, de sa propre initiative, du russe ou de l’allemand, et concernaient des questions extérieures. Telle est la situation de fait : le motif quasi officiel de l’expulsion ne tient pas debout. Les vraies raisons sont tout autres. Il y en a deux : La faillite du radicalisme français en est la première et la plus immédiate. C’était un gouvernement radical qui, aux semaines de miel de son règne, m’avait accordé l’autorisation. Il n’y avait aucune raison d’espérer que le droit d’asile pour un révolutionnaire soit respecté après la défaillance complète du radicalisme devant la vague de la réaction. Il y a d’autres droits, touchant plus immédiatement les masses laborieuses du peuple français lui-même, qui sont menacés. La seconde raison est l’idée de la IVe Internationale. Ce n’est pas par hasard que presque toute la presse aux ordres m’a imputé une déclaration incohérente sur la IVe Internationale lors de mon entretien avec les magistrats de Melun. En réalité, je n’ai eu aucune occasion de me prononcer devant le procureur de la République et le juge d’instruction sur les questions brûlantes du mouvement révolutionnaire international. Mais il est exact — je n’ai aucune raison de le cacher, au contraire, j ’ai tout intérêt à le proclamer hautement — que je suis un partisan décidé de la création de la IVe Internationale sur les bases de Marx et Lénine. Il est également exact que la Ligue communiste de France, comme une vingtaine d’autres organisations, travaillent dans le même esprit. Le communiqué officieux souligne la faiblesse de la Ligue et affirme même que le tirage de La Vérité ne dépasse pas 500 exemplaires. Du fait de ma vie retirée, je n’ai pas eu la possibilité de participer à la vie de la Ligue et de son organe. Je suis absolument sûr qu’il faudrait multiplier par 20 ou 30 le chiffre cité, pour approcher de la réalité. Ce n’est pas beaucoup. Je ne vois aucun besoin de cacher ou de masquer la faiblesse des groupements de la IVe Internationale : la politique révolutionnaire n’a rien de commun avec le bluff. Mais, le fait même que, malgré cette faiblesse officieusement exagérée et le manque d’accusations valables qu’on puisse m’imputer, le gouvernement a trouvé nécessaire de prendre une mesure à mon égard, démontre que l’idée de la IVe Internationale est devenue une force que l’on redoute. Et avec raison ! Ce qui manqua aux classes ouvrières en Allemagne, en Autriche pendant les luttes décisives, c’est la ligne claire et juste, une direction ferme et souple, le véritable drapeau de la révolution mondiale. La IIIe Internationale, après la IIe, s’est définitivement compromise. Asservie à la bureaucratie stalinienne conservatrice, elle s’efforce de boucher par des mensonges et des calomnies extravagantes le vide de ses idées et de ses méthodes. Il n’y a que la IVe qui puisse regrouper, nationalement comme internationalement, les cadres révolutionnaires pour barrer la route au fascisme, pour guider le prolétariat à la conquête du pouvoir et à la transformation socialiste de la société. Le petit épisode qu’est mon expulsion tombe dans ce cadre politique. Je suis chassé comme partisan de la IVe Internationale, c’est-à-dire des idées de Marx et de Lénine : telle est la vérité, qui ne peut être obscurcie ou déformée par tous les commentaires malhonnêtes ou malveillants. |
Léon Trotsky > 1934 >