Léon
Trotsky : Lettre à Pierre Naville
[Léon
Trotsky - Pierre
Naville - Denise Naville - Jean Van Heijenoort : Correspondance
1929-1939,
Paris 1989, pp 45-46]
Büyükada,
le 26 juillet 1930
Cher
camarade Naville,
1)
Dans le nouveau numéro du bulletin russe on peut trouver tout ce qui
peut intéresser le lecteur de la Vérité
sur la question russe.
2)
L’article dont je vous ai écrit, « Staline comme théoricien »,
est consacré précisément à la conférence de Staline aux
marxistes-agraires dont vous faites mention dans votre dernière.
Puisque cet élaborât de Staline — la culmination de son ignorance
arrogante — est traduit en langues étrangères, j’espère que
mon article sera peut-être utile dans des différents pays.
3)
Vous annoncez le manifeste international dans le premier Numéro du
Bulletin. Mais ne craignez-vous pas des objections de la part des
différentes sections ? Est-ce que ce ne serait pas mieux de
soumettre un texte pareil préalablement aux sections affiliées ?
4)
Oui, je parlais sur le manque de votre article dans le n° 44. Et le
numéro entier a paru aux camarades un peu négligé (moi je n’avais
pas le temps de le lire). Étant donné l’absence de Rosmer,
j’étais inquiet que vous ne soyez trop absorbé par la Lutte
et d’autres choses au détriment de la Vérité.
Ma question n’avait pas d’autre sens.
5)
Quant à la seconde partie de votre lettre je ne puis que regretter
que vous l’avez écrite. Si vous croyez que je base mes opinions et
mes appréciations sur des informations unilatérales et même
déloyales je ne puis que regretter la légèreté avec laquelle vous
formez vos opinions et vos appréciations. Je n’étais tout ce
temps en correspondance qu’avec Rosmer, vous et Gérard. J’exposais
assez brutalement à Gérard mes inquiétudes basées exclusivement
sur des faits politiques et sur vos lettres. J’ai donné à Gérard
le dernier conseil au moment de son départ pour ne pas accumuler des
malentendus et poser chaque question franchement et ouvertement. Or
j’ai dû constater pendant les derniers mois non une amélioration
mais un empirement. Tout cela n’avait aucun rapport avec vos
dissentiments avec Molinier. je n’en savais rien. Je me suis dit
maintes fois et je vous ai écrit deux ou trois fois que je prévois
l’inévitabilité d’une discussion entre nous. Or maintenant
quand je l’ai fait avec le plus grand retard après des tentatives
d’attirer votre attention sur quelques points éminents, vous
envisagez ma lettre circulaire a peu près comme une manœuvre pour «
soutenir » Molinier. Je ne soutiens pas des personnes, je soutiens
des idées et des méthodes. Si Molinier est d’accord dans ce point
avec moi, je suis naturellement prêt de le soutenir dans ces limites
contre vous. Sans aucune prévention pour qui que ce soit. Et je vous
prie d’être sûr que si quelqu’un s’occupera dans ses lettres
de vous « dénigrer » c’est à peine qu’il m’influencera en
sa faveur.
Je
dois, d’ailleurs, vous répéter ce que j’ai écrit à Gérard,
que l’état d’âme de Molinier en tant que je peux le juger dans
sa dernière lettre (la troisième ou quatrième que j’ai reçue de
lui pendant une année) démontre une bonne volonté de travail
commun. C’est pourquoi votre dernière me frappe péniblement.
[L.
Trotsky]