Léon
Trotsky : Lettre à Alfred Rosmer
[Alfred
et Marguerite Rosmer - Léon Trotsky : Correspondance
1929-1939,
Paris 1982, pp. 125-127,
voir des
annotations
là-bas]
Constantinople
28 Février 1930]
Cher
ami,
Je
termine ma lettre hier interrompue par le courrier. On est ici
content du N° 24 comme du précédent. Je continue à n’être pas
satisfait de la traduction de mon article : c’est une adaptation
libre et même, trop libre. Il y a un tas d’Hélas
introduits par le traducteur. La « direction » dans le sens concret
de Comité Central est remplacée presque partout par « directive ».
Le traducteur a dû se servir non du manuscrit mais du Bulletin,
car les fautes chronologiques du Bulletin
russe
(dont la correction est misérable) sont reproduites dans le texte
français, alors que le manuscrit russe qui vous est envoyé est
corrigé par moi avec le plus grand soin.
La
question italienne (bordiguiste) reste pour moi tout à fait
énigmatique et par cela même inquiétante. Quel est le sort
personnel de Bordiga? Sait-on quelque chose de lui? Puis la question
des groupes bordiguistes à l’étranger : je ne crois pas que nous
puissions continuer à les traiter dorénavant comme on l’a fait
jusqu’à ces temps-ci. Ces camarades restent sur le plan
étroitement national. Ils ont peur de s’approcher des autres. Ils
ne participent pas à la vie internationale. Ils se forgent sur
beaucoup de questions des idées bizarres. Si l’on continue à le
tolérer passivement, ils nous joueront, et à eux-mêmes aussi, un
mauvais tour, du genre d’Urbahns. Et à ce moment, on aura tout le
travail à recommencer. C’est absolument inévitable. Comment les
choses se sont-elles passées jusqu’à maintenant ? Us se sont
adressés à moi par une lettre ouverte dans le Prometeo
(est-ce qu’il continue à paraître ?). Je leur ai répondu
amicalement. Ils n’ont pas publié ma lettre — et naturellement
pour des raisons politiques et non techniques. La
Vérité
ne l’a pas publiée non plus. Je crois que c’était une faute
parce qu’on leur a facilité la tactique de la dérobade. Et on
devra recommencer ce procédé toujours délicat dans des conditions
déjà aggravées par le temps perdu.
Il
faut leur forcer la main coûte que coûte... Nous ne pouvons pas
attendre avec eux le moment où Bordiga aura la possibilité de se
prononcer. S’il y a la confusion et l’indécision dans leurs
rangs, il faut provoquer la différenciation. En somme, nous avons
besoin d’avoir des amis décisifs dans la classe ouvrière
italienne. Sans cela, même les « ultras » de L’Ouvrier
Communiste
auront le dessus, parce qu’ils sont décidés, doctrinaux,
agressifs, etc., et pas tout à fait bêtes. Qu’est-ce que vous
croyez faire maintenant? S’il n’y a pas d’autre voie, je
m’adresserai à eux par une nouvelle lettre ouverte, en les
invitant à répondre aux questions que j’ai posées.
Je
me souviens que vous avez voulu les aider à faire l’édition de ma
Révolution
défigurée
mais nous avons tout à fait oublié tous les deux que cette édition
appartient à Rieder. Qu’est-il advenu de cette entreprise ?
Je
ne réponds pas à Marguerite sur la question qui l’intéresse le
plus. Qu’elle patiente encore quelques jours.